- Mars a écrit:
- pour info c'est aussi ta présentation^^ voir pire
no moi ma presente c'est:
L'affirmation paraîtra surprenante : un alcoolique n'est pas une personne qui serait spécialement ou exagérément attirée par l'alcool et les boissons alcoolisées. Il peut les aimer, parce qu'elles sont bonnes et qu'il y en a pour tous les goûts, mais pas plus que quiconque n'a pas ces problèmes.
Pourquoi cette affirmation ? Parce qu'après 40 ans de pratique nous avons presque toujours constaté qu'un alcoolique sevré, et qui sait écarter les plus petites quantités d'alcool de son alimentation, n'éprouve aucune envie irrésistible devant la boisson. Or, si la maladie résidait dans un besoin insurmontable, celui-ci n'aurait pas disparu puisqu'il n'existe aucun traitement applicable. C'est le contraire que l'on constate : pas d'alcool, pas de besoin.
Mais chez ces patients sevrés, qui n'éprouvent plus aucune attirance anormale pour l'alcool, qu'est-il un jour advenu pour qu'ils en soient arrivés à ne plus s'en passer ? à consommer sans limite, à tout sacrifier et tout perdre pour la boisson dans un tableau que chacun connaît ?
La réponse, paradoxale, peut également surprendre : un sujet dépendant ne peut pas se passer d'alcool parce qu'il en boit ! S'il n'en consommait pas, si son corps n'en recevait pas, il ne serait pas attiré. (Il en est ainsi pour l'abstinents, attentifs à écarter les plus petites doses.) En somme, il boit parce que, quand il a commencé, ne serait-ce qu'un verre, il ne peut plus arrêter. Tous les patients le savent et tous le disent :
"quand je commence je ne peux plus m'arrêter"
Cette vérité, si souvent entendue, devrait faire réfléchir les milieux soignants induits en erreur par l'observation des abstinences incomplètes, des états de manque post-thérapeutiques, des delirium tremens, si mal compris et dont nous parlerons ailleurs.
un fonctionnement à l'envers
Que se passe-t-il au juste ? En plus intense et plus dramatique, ce qu'il arrive à beaucoup devant un coffret de chocolat (qui a les mêmes propriétés) : s'il n'y en a pas, on s'en passe et personne n'en ressent de manque. Si l'on y goûte, le premier est bon mais, pour beaucoup, en appelle un second encore meilleur. Certains préviennent : "enlevons la boite sinon je la termine". Le chocolat est une friandise, et c'est pour cela qu'il est une friandise.
Soyons plus précis : tout aliment consommé provoque normalement et automatiquement dans le corps la limitation de sa consommation par réduction de l'appétit. Ainsi peut-on avoir grand-faim mais le fait de manger n'augmente pas la faim, au contraire, il la diminue. Des "signaux de satiété" interviennent et limitent puis interrompent les sensations liées au besoin d'aliment. Cela est fait sans que nous ayons à nous en préoccuper, ni à mesurer notre alimentation, ni à souffrir de la faim.
La faim et la soif sont des signaux qui alertent l'esprit d'un besoin d'eau ou de nourriture. Les signaux de satiété ont le rôle inverse de désactiver en temps voulu ces alarmes vitales pour que l'on n'en vienne pas à dépasser les besoins de l'organisme, ce qui aurait des conséquences néfastes. S'ils sont efficaces c'est qu'en arrêtant le plaisir de manger, ils le tournent en son contraire, jusqu'au dégoût. Ils sont très précis parce que, dans l'année, l'adulte consomme près d'une tonne d'aliments alors que le poids corporel ne varie pas. Ils sont finement coordonnés avec la conscience et avec la vue puisque, à la fin d'un repas, quiconque souhaite encore un morceau de tarte, coupera avec précision la part qui lui convient, ni plus, ni moins, sauf à avoir "les yeux plus gros que le ventre".
En somme notre bon état de santé se maintient grâce à un système rétro-actif qui stoppe l'appétit, et donc l'apport alimentaire, quand la quantité convenable est acquise. Ce système est commun à l'homme et à l'animal. Sa gestion est centralisée dans des zones sensibles à la base du cerveau où elle peut être dérégulée pas divers facteurs, physiques ou psychiques. (Il résulte alors des maladies comme l'anorexie mentale ou les boulimies.)
Mais dans l'alcoolisme il n'y a pas de maladie. Tout au plus une particularité biologique qui serait sans conséquence en l'absence de produits fermentés. Hors alcool, tout fonctionne bien. Il advient que - comme le chocolat - l'alcool perturbe le système, mais de façon redoutable, en le faisant fonctionner à l'envers : ce n'est plus l'absence qui provoque le besoin mais la présence d'alcool dans le corps. Boire un peu fait boire davantage. Boire davantage fait boire beaucoup. Boire beaucoup aggrave le manque. Il n'y a plus de limitation naturelle par ce système rétro-actif qui fonctionne pour l'eau et tous les aliments. L'organisme est inondé d'alcool, et cet intrus intensifie le besoin au lieu de l'apaiser.
Mais cette période peut durer très longtemps. Toutes les phases ont été maintes fois décrites :
D'abord le patient peut avoir conscience de ses excès en même temps que la conscience de ne pas respecter le protocole social. Mais c'est un plus, une performance. Il incorpore, en buvant, toutes les vertus de l'alcool. Comment voir la maladie dans ce qui assure aisance et bien-être intérieur?
Un jour, tôt ou tard, mis à mal par ses excès, confiant en ce plus, il ne doute pas qu'il pourra gérer. Mais il échoue, et c'est un moins.
On se dira alors : puisqu'il voit que cela tourne mal : "pourquoi ne s'arrête-t-il pas ?" En réalité il a essayé mais échoué, en raison de ce que nous avons dit plus haut, et qu'il ignore : l'organisme suradapté ne tolère pas la réduction d'alcool et les tentatives spontanées de sevrage laissent les pires souvenirs. De plus en plus, vis à vis de l'alcool, il se voit condamné à obéir à son corps, obéissance qui le contraint au mutisme, à son équivalent, l'intolérance verbale, et dans tous les cas au mensonge.
l'alcool empêche de parler
Car, autre paradoxe, l'alcool empêche de parler. Ce phénomène est, en vérité, indépendant de l'alcoolisation. Il existe dans toutes les circonstances ou l'humain se voit contraint d'obéir à son corps.
Il faut remarquer que nous sommes ainsi fait que nous parlons "à l'endroit" quand notre corps nous obéit, mais "à l'envers", ou pas du tout, quand, à l'inverse, nous devons lui obéir.
Dans le travail, les loisirs, les sports, l'esprit commande et le corps exécute. Dans un match de tennis, par exemple, l'esprit dirige, même si le corps est très actif. Tout se montre et se raconte.
Par contre il est des circonstance où le corps commande et l'esprit se soumet. Aller au "petit coin", par exemple. Mais il en est de même d'activités plus nobles, comme l'amour : dans la sexualité, pour que tout fonctionne bien, l'esprit doit se laisser guider par le corps aussi parfaitement que possible. Ces choses ne se racontent pas, et ne doivent pas se raconter ni s'entendre. Un sentiment que tout le monde ressent, appelé pudeur, reflète un phénomène linguistique qui, dans l'obéissance au corps, arrête la parole et oblige quiconque à mentir, se taire ou se révolter devant un dévoilement indiscret.
On l'aura compris, l'alcoolique est réduit au silence et au mensonge. Il l'est comme toute personne rendue pudique par la soumission à un acte corporel. Nous somme loin de la prétendue "mauvaise foi". Il faut comprendre aussi que, sommé d'avouer, l'alcoolique se dérobe ou se révolte, comme chacun peut le faire quand sa pudeur est offensée. Cela lui arrive souvent et ne nous étonnons pas qu'il devienne, comme on l'a dit, un "artiste du mensonge". A moins qu'il ne se défende en jouant le mauvais caractère.
Mais la pudeur n'est pas uniquement verbale, elle est aussi visuelle et nous fait dissimuler ces actes corporels qui dénoncent la soumission de l'esprit :
"Ce qui m'étonne c'est que je me cachais même chez moi où pourtant j'étais seule." - "Je ne cachais pas les bouteilles dans les placards du salon,... parce que dans cette pièce il y avait des photos de ma famille et un Christ sur un crucifix... c'est comme s'ils avaient des yeux." - "Cela m'intriguait que, étant seule, je cache la boisson sous les matelas, dans ma chambre, parce que dans ma chambre il n'y avait ni photos ni Christ." - "Je n'avais pas le courage de me servir un verre ou de laisser la bouteille sur la table dans le salon". "Personne ne m'aurait vu, mais il y avait ces photos et ce Christ...." - "J'allais boire au goulot en me baissant sous le matelas, comme si là ils ne me voyaient pas".
Ce qui ne se dit pas, ne se montre pas et chacun sait "que tous ceux qui sont sains d'esprit ... s'efforcent, aux besoins mêmes de la nature, d'obéir le plus secrètement possible." C'est ce que fera l'alcoolique pour la boisson, avec beaucoup de minutie, prouvant pas là qu'il est sain d'esprit.
C'est peut être cette pudeur qui coûte le plus cher dans la maladie alcoolique. Plus le patient est en perdition, plus il a besoin des autres, moins il peut parler. Caché comme un vice, la surconsommation amplifie irrémédiablement ses dégâts et le temps thérapeutique est trop souvent dramatiquement différé.
tout n'est pas dit
Les patient ayant souffert de cette affection ne se reconnaîtront pas tous ici. Malgré une grande fixité des symptômes il faut tenir compte de la grande variété des contextes. Le pouvoir anxiolytique de l'alcool l'aura parfois fait utiliser par des personnes qui, en dehors et en sus de leur dépendance, présentent un fond dépressif, des phobies, une psychose. Autant de troubles qui peuvent s'associer à un alcoolisme pour la seule raison de leurs fréquences respectives. En somme on peut avoir l'un et l'autre, et qui peuvent faire bon ménage. Cela s'appelle co-morbidité, mais il est évident que le sujet chez qui l'alcool servait de remède aura, en principe, plus de mal à s'en sortir.
Encore que le sentiment s'impose parfois que la sortie de l'alcoolisme est une telle épreuve, une telle opération psychologique, une telle rupture (une perte d'objet quasi expérimentale) qu'elle paraît balayer au passage bien des troubles préexistants de la personnalité, pour le plus grand bénéfice du patient.
Que dire aussi de ce que nous pourrions appeler des recours circonstanciels dont on retire l'impression que, même majorés par la dépendance, ils ont pu être un moindre mal ? Nous citerons pour exemple ces couples précoces, constitués entre amis d'enfance en transgression des lois d'exogamie. Les conjoints dans ces cas ont autant de mal à vivre ensemble qu'à se séparer et la situation sensiblement incestueuse dans laquelle ils se trouvent contient un ferment névrotique dans lequel l'alcool pourra jouer son rôle biblique, leur permettant, de fait, la cohabitation conjugale.
Cela rejoint le cas de certaines personnalités "limites" accumulant, à leur entrée dans la vie adulte ou même l'adolescence, une somme de difficultés psychologiques, justifiant parfois des recours médicamenteux. L'alcool en est un qui, pour certains, à peut-être présenté l'avantage de favoriser le lien social et donc de contribuer, par ce biais, à cultiver un besoin primordial pour toute personnalité, et donc éviter le pire.
L'alcoolisme, pathologie la moins enseignée mais aussi la plus répandue, a encore beaucoup à nous apprendre.